Andie Moore
Onslow College in Wellington
Translation (Love, Hierarchy and Hardship) from French into English of Les Mots by Jean Paul Sartre
Translation (Love, Hierarchy and Hardship) from French into English of Les Mots by Jean Paul Sartre
Love, Hierarchy and Hardship
I will never stop inventing myself; I am the donor and the donation. If my father was living, I would know my duties and responsibilities; he is dead, and I don’t know about them: I have no duties since love overwhelms me: I have no duties since I give out of love. One mandate alone: to please; everything for show. In our family, what an abundance of generosity we have: my grandfather sustains me and I make him happy; my mother devotes herself to everyone… Either way: our life is nothing more than a series of ceremonies, and we spend our time overwhelming ourselves with compliments. I respect adults on the condition that they adore me; I am frank, open, kind like a girl. I mean well, I trust others: everyone is good since everyone is happy… Grandson of a cleric, I am, from childhood, a cleric; I have the anointing of the princes of the Church, a priestly cheerfulness. I treat inferiors as my equal: that is a pious lie that I tell them to keep them happy. It suits them to be fooled by this lie, to a certain degree… In this world of order there are the poor. There are also sheep with five legs, Siamese twins, railway accidents: these anomalies are nobody’s fault. The good poor do not know that their purpose is to exercise our generosity; they are the ashamed poor, they keep a low profile; I walk up to them, and slip them in the hand a penny or two, and more importantly, I make them a present from a smile which doesn’t discriminate. They come across as stupid, or silly, and I do not like to touch them, but I force myself to: it’s an ordeal, and in any case, one must love them: this love will adorn their lives. I know that they go without the necessities of life, and it pleases me to be their luxury. Indeed, however bad their impoverishment may be, they will never suffer as much as my grandfather: when he was little, he got up before dawn and got changed in the dark; in winter, to wash himself, he had to shatter the ice in the water jug. Fortunately, things have improved since: my grandfather believes in progress, and I too: progress, this long, steep road which leads up to me. |
Les Mots – Jean Paul Sartre
Je ne cesse de me créer; je suis le donateur et la donation. Si mon père vivait, je connaîtrais mes droits et mes devoirs; il est mort et je les ignore: je n'ai pas de droit puisque l'amour me comble: je n'ai pas de devoir puisque je donne par amour. Un seul mandat: plaire; tout pour la montre. Dans notre famille, quelle débauche de générosité: mon grand-père me fait vivre et moi je fais son bonheur; ma mère se dévoue à tous… N'importe: notre vie n'est qu'une suite de cérémonies et nous consumons notre temps à nous accabler d'hommages. Je respecte les adultes à condition qu'ils m'idolâtrent; je suis franc, ouvert, doux comme une fille. Je pense bien, je fais confiance aux gens: tout le monde est bon puisque tout le monde est content… Petit-fils de clerc, je suis, dès l'enfance, un clerc; j'ai l'onction des princes d'Église, un enjouement sacerdotal. Je traite les inférieurs en égaux: c'est un pieux mensonge que je leur fais pour les rendre heureux et dont il convient qu'ils soient dupes jusqu'à un certain point… Dans ce monde en ordre il y a des pauvres. Il y a aussi des moutons à cinq pattes, des sœurs siamoises, des accidents de chemin de fer: ces anomalies ne sont la faute de personne. Les bons pauvres ne savent pas que leur office est d'exercer notre générosité; ce sont des pauvres honteux, ils rasent les murs; je m'élance, je leur glisse dans la main une pièce de deux sous et, surtout, je leur fais cadeau d'un beau sourire égalitaire. Je trouve qu'ils ont l'air bête et je n'aime pas les toucher mais je m'y force: c'est une épreuve; et puis il faut qu'ils m'aiment: cet amour embellira leur vie. Je sais qu'ils manquent du nécessaire et il me plaît d'être leur superflu. D'ailleurs, quelle que soit leur misère, ils ne souffriront jamais autant que mon grand-père: quand il était petit, il se levait avant l'aube et s'habillait dans le noir; l'hiver, pour se laver, il fallait briser la glace dans le pot à eau. Heureusement, les choses se sont arrangées depuis: mon grand-père croit au Progrès, moi aussi: le Progrès, ce long chemin ardu qui mène jusqu'à moi. |